
Plus sur la Méthode de Conceptualisation Relativisée
Notre appréhension de MCR a déterminé l’orientation des travaux entrepris par la suite et, en particulier, la construction de SR. En voici l’exposé.
MCR pose le Réel que nous décrivons et dont nous sommes partie intégrante comme un substrat radicalement inatteignable en lui-même. Du postulat qu’il existe aussi un Réel physique (et non pas seulement psychique, ce qui élimine le solipsisme), il découle que toute connaissance est une construction finalisée qui découle de perceptions biopsychiques corrélées à une attitude active d’observation ou d’action. Ces perceptions sont les traces d’interactions postulées entre ce que nous adoptons comme moyen physico-conceptuel pour décrire (le corps propre, un instrument de mesure, l’environnement de notre objet d’étude, etc.), et le terrain de Réel sur lequel nous nous focalisons, tel que nous le conceptualisons. Ces traces corrélées dans le temps et dans l’espace à nos modes opératoires mêlent inextricablement l’observé et l’observant. Ces interactions sont postulées, car, au-delà des évidences d’intériorité et d’extériorité que nous suggèrent nos sens psychobiologiques, ce n’est que par convention, relativement à ces moyens préalablement conceptualisés, que nous pouvons intersubjectivement conférer à notre objet d’étude une actualité, des limites spatiales (mais pas toujours), et des propriétés. Seul cet acquis nous permet de déclarer consensuellement ce qui se passe, ce que l’on observe, de séparer conventionnellement ce qui est imputable à l’entité décrite de ce qui est imputable aux moyens que l’on utilise pour décrire. Le connu sert à construire des filets pour attraper l’inconnu, mais il ne peut le faire qu’au travers du maillage des concepts généralement admis.
MCR dénomme référentiel épistémique la description de la façon convenue dont on se donne et dont on qualifie une entité à partir d’un acquis préalablement conceptualisé. L’entité physique émerge comme concept de la répétition des mêmes expériences et du constat de la stabilité des corrélations spatio-temporelles entre le mode opératoire physico-conceptuel adopté et les manifestations imputées au support de Réel étudié, codées sous forme de valeurs. Ainsi s’imposent à l’esprit des relations de causalité dont l’entité physique émergente constitue le nœud. MCR dénomme classe génétique la somme des expériences nécessaires pour que s’impose à l’esprit le concept d’une entité physique comme support reproductible de traces codées.
Le concept de cellule descriptionnelle, relative à un référentiel épistémique que l’on se donne, a pour corollaire le concept de séparabilité ou d’autonomie du cadre descriptionnel. Le référentiel épistémique conceptualise le postulé nécessaire et suffisant pour reproduire la même expérience. Tout ce qui ne fait pas partie du référentiel épistémique n’existe pas relativement au cadre descriptif. Le concept d’inaction lui-même, de non interaction, est relatif à ce cadre. Ce caractère nécessaire et suffisant ne vaut que relativement à différents contextes, envisagés implicitement ou explicitement, positivement ou négativement par exclusion de certaines conditions, ou simplement vécus et non dicibles. Il ne viendrait à aucun constructeur automobile l’idée de préciser que le démarrage d’une voiture, tel qu’il figure dans le manuel d’utilisation, ne produira pas le résultat escompté sous l’eau ou sur la Lune, mais il peut préciser éventuellement une plage de température de bon fonctionnement (zone tempérée, …). Rien ne permet donc de conférer à la cellule descriptionnelle ainsi délimitée un caractère définitif et absolu. Les échecs expérimentaux poussent ainsi à rechercher des « artefacts » inhérents au mode opératoire, à reconcevoir le déroulement des faits signifiants, c’est-à-dire à reconcevoir le référentiel épistémique.
Le concept de description primordiale initialise la chaîne des conceptualisations qui aboutit à une conception rationnelle, et donc intersubjective, du Réel. Ces descriptions primordiales correspondent à la construction d’embryons de consensus autour de perceptions-sensations postulées partagées en conséquence des coopérations opératoires effectives qu’elles permettent (montrer du doigt en criant pour signaler un danger). Il en résulte une collection de concepts intersubjectifs élémentaires, un échantillonnage de Réel connu disponible pour abstraction et comme briques de base de nouvelles constructions intersubjectives. La conceptualisation de nos propres limites se construit avec celle de notre extériorité au travers d’expériences relatives, à des façons de faire et à des vues. Les connaissances construites permettent progressivement de médiatiser nos rapports au Réel objet d’étude et d’action au travers de différents dispositifs, naturels et artificiels (environnement, outil, instrument de mesure etc.) préalablement conceptualisés. De cette connaissance nous postulons leur mode d’interaction avec le terrain de Réel visé. Les descriptions d’entités physiques elles-mêmes et leurs référentiels épistémiques peuvent être globalement appréhendés, agencés, généralisés, au travers de méta-conceptualisations que MCR dénomme méta-descriptions. Ainsi, progressivement s’étendent et s’abstraient nos mises en organisations du Réel et se poursuivent nos efforts pour les mettre en cohérence au travers d’un noyau minimaliste de postulats et de définitions fondateurs.
La mise en organisation de nos constructions de connaissances ou de notre pensée innovante en cellules descriptionnelles, clôturées de façon convenue, peut paraître mutilante, arbitraire, simplificatrice. La quête illusoire d’absolu nous fait parfois rechigner à poser des frontières, voire simplement à « dire », tant s’impose l’impression que l’on trahit ce vers quoi on pointe. Mais ce serait là oublier que nos concepts sont aussi dans le Réel et qu’il n’est pas possible de décrire « en soi » quelque chose dont nous faisons partie. L’absolu ne relève pas du domaine de la science. Il faut résister à la tentation de refuser toute frontière, de se taire, de ne pas agir, car c’est là encore faire quelque chose, mais, au contraire, assumer ses buts et les conventions adoptées pour y répondre. Rien ne s’oppose aux remises en causes induites par l’évolution de nos finalités, par l’accroissement de nos connaissances, par l’approfondissement de notre pensée et des théories qui l’abstraient et la généralisent. Les points de repère « désacralisés » dont nous convenons servent de points d’appuis à une progression de la pensée d’autant plus efficiente qu’elle peut être partagée et qu’elle est par construction réfutable face aux faits qu’elle conceptualise, relativement aux buts qu’elle vise.
Au terme de ce cheminement, entités, limites, actions, effets, propriétés, apparaissent comme autant de concepts fondamentalement relatifs au référentiel épistémique que se donne un fonctionnement-conscience en action, pour reprendre la terminologie MCR. Ces construits sont légitimés par leur seule commodité et leur efficience intersubjective en situation. Plus aucune structuration, plus aucune conceptualisation ne peut prétendre représenter le Réel en lui-même. Ce Réel fantomatique, dans lequel la distinction psychique versus physique perd sa pertinence, s’impose pourtant comme le réceptacle tout à la fois nécessaire et impensable de notre intériorité et de notre extériorité.